Archives du tag: Droit à l’avortement

Actualité IVG

Enjeux politiques de l’IVG en Belgique :

Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse du 15 octobre 2018.
Un an après son adoption, quels sont les enjeux politiques relatifs à l’IVG en Belgique?


Programme:
Accueil et introduction
Henri Bartholomeeusen, président du Centre d’Action Laïque
Historique de l’adoption de la loi du 15 octobre 2018
Sylvie Lausberg, directrice du service Étude et stratégie du Centre d’Action Laïque
Enjeux juridiques liés à l’application de la loi du 15 octobre 2018 et recours à la Cour constitutionnelle
Patricia Minsier, avocate au barreau de Bruxelles
Entre volontarisme politique et difficultés d’accès à l’IVG, l’exemple français
Véronique Séhier, présidente du Planning familial français

Table ronde: quelle stratégie politique pour garantir et améliorer la loi belge?
En pratique:
Le mardi 15 octobre 2019, de 9h à 12h30, suivi d’un drink et de sandwiches
Au Centre d’Action Laïque (salle Willy Peers) – Campus de la Plaine ULB (accès 2) à 1050 Bruxelles
Entrée gratuite mais inscription obligatoire
Infos et inscriptions: cal@laicite.net

 

Actualité

Réactions au cours de philosophie « anti-avortement » à l’UCL

Le 14 mars, notre association reçoit, par une connaissance inscrite en 1er BAC Sciences politiques à l’UCL, des notes de leur cours de philosophie. Il s’agit d’un texte de 15 pages, présenté oralement au cours par Stéphane Mercier, chargé de cours invité (il remplace l’enseignante titulaire, en année sabbatique) et docteur en philosophie de l’UCL. Bien que de nombreux étudiants manifestent actuellement leur soutien à l’enseignant sur les réseaux sociaux, le cours a interpellé voire profondément choqué une partie de l’auditoire.

Le texte, intitulé « La philosophie pour la vie. Contre un prétendu « droit de choisir » l’avortement », est ouvertement orienté vers la présentation d’une position pro-life, destinée à « permettre le débat ».

Nous avons lu ce texte : son contenu ainsi que son prétendu ancrage « philosophique » nous ont scandalisé. Le temps de lire et de le partager auprès d’autres associations afin de réfléchir à une réaction, l’information est révélée sur les réseaux sociaux, le 21 mars, par une journaliste ayant également reçu le texte par un autre canal. Elle poste un extrait (lié à une comparaison douteuse avec le viol) en s’indignant et se demandant si le texte est bien réel.

Voyant l’ampleur que l’affaire peut prendre (la journaliste dénombre 18.000 abonnés sur son compte Twitter et la nouvelle va se répandre très vite), nous répondons sur Twitter que le texte est bien réel et que nous sommes occupés à travailler à une réaction. Cela explique que les médias nous ont rapidement sollicité pour intervenir, notamment dans les journaux télévisés.

L’UCL réagit rapidement à ce buzz médiatique du jour et communique une courte réaction, condamnant clairement les propos tenus dans le texte en question, réaffirmant leur soutien au droit à l’avortement, et signalant convoquer l’enseignant pour mieux comprendre le contexte et ses intentions.

 

L’affaire a pris beaucoup d’ampleur et les réactions s’enchaînent sur Internet, entre les personnes s’indignant de tels propos et celles hurlant à la censure et à une dictature de la bienpensance qui empêcherait le prof d’exprimer un avis n’allant pas dans le sens du « politiquement correct ». On parle assez peu du fait que ce n’est pas tant l’opinion qui choque mais le fait qu’elle soit proférée d’une telle façon dans le cadre d’un cours universitaire en philosophie, pour des étudiant-e-s de 1ère année.

Un journal parvient à joindre l’enseignant qui réaffirme ses propos et convictions, signalant avoir voulu pousser les élèves à réfléchir par eux-mêmes, à se forger une opinion grâce à une position qu’ils n’ont pas l’habitude d’entendre.

 

Notre réaction – construite grâce à la lecture du texte et de certaines notes de cours, ainsi que des enregistrements du cours oral, transmis par des étudiant-e-s – s’effectue à trois niveaux. À nos yeux, ceux-ci doivent absolument être pris en compte dans les débats sur cette affaire, trop vite réduite à une question de liberté d’expression.

 

1. Divergence d’opinions

 

L’auteur du texte est opposé à la pratique de l’avortement, pour différentes raisons, dont le droit à la vie du fœtus, qu’il considère comme un être humain. Nous ne partageons pas son opinion première car nous revendiquons le droit pour les femmes de disposer de leur propre corps et donc le droit de recourir à l’avortement. Actuellement, bien que le législateur reconnaisse la possibilité d’un recours à l’avortement sous certaines conditions, les associations féministes revendiquent par ailleurs une dépénalisation de l’IVG.

À ce niveau, nos opinions sont divergentes mais chacun-e a le droit à son opinion, et est par ailleurs libre d’estimer que la législation actuelle n’est pas satisfaisante. Toutes les parties sont également libres d’être en désaccord les unes avec les autres, de contester ou revendiquer une opinion.

 

2. Argumentation méprisante et culpabilisante

 

Dans le cas présent, nous n’acceptons pas et condamnons vivement la manière dont cette opinion est argumentée. Il ne s’agit pas seulement d’une opinion contraire à la nôtre. En effet, elle est formulée de façon méprisante, culpabilisante envers les femmes et comporte des arguments très douteux, voire scandaleux.

 

La prémisse avancée par l’enseignant est qu’« il est toujours moralement mauvais de tuer délibérément un innocent » (p. 3). Il considère le fœtus comme une personne à part entière et que la vie humaine commence au moment où le spermatozoïde haploïde rencontre l’ovocyte haploïde, formant une nouvelle entité unique : l’embryon diploïde. De ce fait (avec un raisonnement qui tient la route dans l’absolu), il estime donc que l’avortement est un « meurtre », consistant à « tuer délibérément une personne innocente » (p. 4), visiblement sans possibilité (selon lui) de nuancer cette qualification. En outre, « nier l’humanité de cet embryon […] relève du mensonge le plus grossier » (p. 6).

 

L’enseignant soutient régulièrement, oralement et/ou par écrit, que son objectif est de « permettre le débat », qu’il faut veiller « à ne pas culpabiliser les femmes » qui peuvent vivre des situations terriblement éprouvantes dans le cas d’une grossesse non désirée, et que l’interdiction du débat d’idées « est un procédé typiquement totalitaire » (p. 2). Pourtant, il semble éprouver des difficultés à suivre ses propres préceptes puisqu’il se montre clairement et régulièrement méprisant et culpabilisant envers les personnes développant des arguments contraires.

Par exemple, par une comparaison loufoque entre la viabilité d’un fœtus de douze semaines et sa propre viabilité s’il se retrouvait parachuté dans une jungle (!), il déclare qu’il « est important de comprendre à quel point l’argument soi-disant massue de la viabilité est ridicule et inopérant » (p. 5). D’autre part, il estime remarquable que « tant de gens ne voient pas à quelles monstrueuses absurdités les conduirait la logique de leur raisonnement, s’ils acceptaient d’être cohérent » (p. 7).

Enfin, l’enseignant estime qu’il est incontestablement mauvais de tuer un enfant, qu’il soit un embryon de quelques semaines ou âgé de cinq ans, et ce « dans tous les cas. Comme le viol » (p. 7). En effet, il va jusqu’à considérer que l’avortement est un acte « particulièrement abject », car il consiste à tuer un innocent sans défense, et qu’il est à ce titre « encore plus grave que le viol » (p. 8). Car oui, le viol est « immoral » et « détestable », mais « le meurtre délibéré d’un innocent est une chose encore plus condamnable moralement » (p. 8), et devrait donc l’être aussi juridiquement.

Dans l’enregistrement du cours oral, lors des questions et réponses qui ont suivi l’exposé ex cathedra, une étudiante se dit choquée de tels propos, ne comprenant pas qu’on puisse à ce point, et de cette manière, hiérarchiser les souffrances : « ne pensez-vous pas qu’une femme violée peut ressentir une immense souffrance, même si elle n’en est pas morte ? » Réponse de l’enseignant : « Mais au moins, elle est en vie ! Le fœtus n’a eu cette chance ». Autant dire que la réponse n’a guère semblé convaincre la personne ayant posé la question.

 

D’une manière générale, la place de la femme dans cette histoire est très minime. L’enseignant dit comprendre les souffrances dues à la grossesse non désirée, mais ne lui reconnaît visiblement que le droit d’être malheureuse. À l’argument que la femme a le droit de disposer de son propre corps, il répond : « D’abord, ce n’est pas votre corps, mais c’est quelqu’un dans votre corps » (p. 13) ; il y a certes « un lien privilégié » entre les deux, mais ils restent visiblement tout à fait distincts.

La législation est également peu abordée, si ce n’est indirectement en signalant, par exemple, qu’avec l’avortement, « le meurtre est permis chez nous […] et même remboursé par la mutuelle alors que le simple vol à la tire est condamné » (p. 8).

 

Abject, ridicule, monstrueux, totalitaire, mensonger, pire que le viol… Voilà les qualificatifs associés à celles et ceux qui, non pas soutiennent l’avortement comme une bonne solution voire un bon mode de contraception, mais soutiennent le droit des femmes à opter pour cette solution, sachant très bien que l’immense majorité des femmes ayant volontairement interrompu leur grossesse ont vécu un épisode extrêmement douloureux psychologiquement, voire physiquement, et que cette solution représentait pour elles la « moins pire ». Selon lui toutefois, la « très grande majorité des cas » d’avortement se feraient « par simple commodité » (p. 13).

C’est donc cela, permettre le débat et éviter d’être culpabilisant ?

 

3. Indigne d’un cours universitaire de philosophie

 

Après la divergence d’opinions et notre analyse d’une argumentation méprisante et culpabilisante, notre troisième niveau de réaction concerne le contexte, inacceptable à nos yeux, de la diffusion de cette prise de position et de cette argumentation scandaleuse. Est-il normal que ce texte soit présenté, qui plus est avec une telle méthode d’argumentation, au sein d’un « cours de philosophie » dispensé à des étudiant-e-s de 1ère année dans une université belge ?

Précisons également que, si ce cours est bien donné à des étudiant-e-s en 1ère année d’ingénieur civil, comme tenait visiblement l’UCL à le répéter, il est également dispensé auprès d’étudiant-e-s de 1ère année en sciences politiques, sciences humaines et sociologie-anthropologie. Est-ce comme cela que l’on forme à l’esprit critique ces futurs travailleurs, dont certains occuperont peut-être des postes à responsabilités, par exemple dans des cabinets ministériels ou des administrations dans le cas des politologues ? Est-ce vraiment de cette manière que l’on enseigne la philosophie à des étudiant-e-s de 18 ans ?

 

Dès le départ, et il le répète à plusieurs reprises dans le texte comme à l’oral ou dans la presse, l’enseignant signale qu’il va présenter un argument philosophique différent du discours ambiant sur l’avortement, et que cet argument n’est pas neutre. À sa manière, il dit vouloir faire entendre autre chose (son propre avis) aux étudiant-e-s pour favoriser le débat d’idées et sortir de la confiscation de celui-ci. En effet, il considère que les partisans du choix « anesthésient le débat » et que tout cela est bien regrettable. Pour l’instant, la démarche n’est pas banale mais l’analyse des enjeux entourant les discours dominants ainsi que le fait de relativiser la neutralité d’un enseignant apparaissent stimulant-e-s dans le cadre d’une formation à la philosophie.

Cependant, comme nous l’avons vu plus haut, ses intentions affichées ne sont guère respectées, puisqu’il déclare dans la foulée que son argumentaire « implique un rejet absolu de tout prétendu « droit » à l’avortement avec lequel on ne cesse de nous rebattre les oreilles » (p. 2). Il déclarait également dans son introduction que son argumentation allait « aider à réfléchir et tâcher de dégager la vérité sur une question grave » (p. 1). Comment peut-on qualifier de philosophique un tel raisonnement visant à « dégager la vérité », en présentant de manière clairement partisane une position tout en disqualifiant de manière très douteuse certains arguments d’une position contraire ?

Son raisonnement concernant le moment où l’on devient une personne à part entière (l’embryon diploïde) est cohérent et logique, bien que l’on puisse ne pas tout à fait le partager. De ce point de vue, on peut imaginer la tenue d’un débat d’idées puisqu’il est possible de lui opposer un autre raisonnement pouvant être également logique et cohérent. Néanmoins, il tient clairement son argumentation pour acquise, unique et définitive, éliminant comme par magie les arguments opposés.

En outre, il use et abuse de comparaisons étonnantes et érige des exemples, certes très plausibles, en preuves irréfutables de son raisonnement. Une jeune femme écrit une lettre ouverte à sa mère, la remerciant de l’avoir mise au monde malgré le viol dont elle est issue. Ce bonheur de vivre malgré les circonstances, voilà une preuve des méfaits de l’avortement ! Un professeur de biologie expose à ses étudiants, depuis trente ans, un embryon conservé de douze semaines ; une femme se présente un jour à lui pour le remercier : sa mère a assisté à son cours alors qu’elle était enceinte, et à la vue du fœtus, « elle a compris que c’était bien une personne humaine » (p. 14) et a donc décidé de ne pas avorter, contrairement à son idée première. Une nouvelle preuve de la dimension meurtrière de l’avortement ! Ce que l’enseignant oublie toutefois de souligner dans son exemple est que la femme en question, en décidant de garder l’enfant, a effectué…un choix.

 

Il nous apparaît étonnant que ce cours puisse se prétendre être un enseignement philosophique qui ouvre à la réflexion, au débat d’idées, à l’échange de points de vue. En se considérant comme le détenteur de la vérité (« J’ai longuement développé un argument simple qui établit de manière très claire et directe que l’avortement est le meurtre d’un être humain, d’une personne innocente », p. 9), en établissant des arguments très bancals (« je suis assez certain que […] je suis « non viable » dans un environnement comme la jungle », p. 5), ce chargé de cours se présente de façon étonnante comme enseignant des réflexions philosophiques.

Sa conclusion est d’ailleurs sans appel : « si jamais un seul de ceux qui n’avaient jamais sérieusement envisagé la question de la gravité de l’avortement, victimes d’une culture de mort qui nie la réalité du crime que constitue cet attentat contre la personne humaine, si jamais un seul de ceux qui prennent connaissance de cet argumentaire, après avoir réfléchi à tout ce qui vient d’être dit, renonce un jour à avorter, ou qu’il dissuade quelqu’un d’avorter, je me dis que mon travail a du sens » (p. 14).

 

*    *    *

 

De nombreuses questions restent dès lors sans véritable réponse. Comment peut-on prétendre qu’un tel cours représente un apprentissage de débat philosophique ? C’est aussi de cela qu’il s’agit : nous sommes dans une université, pas à une conférence présentant un point de vue sur l’avortement, ni au Grand Séminaire où ce docteur en philosophie intervient par ailleurs.

L’UCL peut difficilement contrôler les notes de tous les cours de toutes les facultés (et on pourrait aussi s’en estimer heureux), mais qui a décidé de nommer ce chargé de cours en remplacement de la professeure titulaire ? Par ailleurs, comment compte-t-il procéder à l’évaluation des étudiant-e-s ? Ceux-ci n’auraient-ils pas, à raison, à craindre de se voir sanctionnés lors de l’examen s’ils se disent en désaccord avec sa doctrine ? Comment cet enseignant peut-il évaluer quelqu’un qui tenterait de raisonner d’une manière différente, exprimant par là des avis ou raisonnements automatiquement « ridicules », « inopérants », « mensongers » ?

Quelle que soit la position de cet enseignant sur l’avortement, les autres professeurs de philosophie peuvent-ils cautionner ce type d’enseignement ? Tout discours, sans aucune exception, peut-il être prononcé dans un cours universitaire de philosophie, dans l’objectif de « faire réfléchir » ? L’université n’a-t-elle dès lors plus besoin d’hommes et de femmes disposant d’une formation solide, d’une expérience de recherche – l’enseignant concerné possède a priori un curriculum adéquat, mais il semble avant tout se reposer sur son opinion personnelle, sa liberté d’expression – et d’une rigueur scientifique ?

 

Au vu de l’ensemble de ces considérations, il nous semble bel et bien que cette affaire ne se limite absolument pas à des questions d’opinions, de liberté d’expression ou encore de censure. Un cours de philosophie où l’on discute de la question épineuse de l’avortement ? Très bien ! Où l’on discute de la morale, des opinions prétendues légitimes ou illégitimes, de la censure, de la difficulté pour certains de faire entendre leur voix parce qu’elle ne correspond pas aux normes en vigueur ? Parfait !

Sauf qu’ici, ce n’est pas le cas. Loin de là.

 

Baptiste Dethier